Égarée au coeur d'une campagne bucolique, l'église de Saint-Philippe du comté d'Argenteuil surprend par son style et par sa valeur. Elle a été conçue, extérieur et intérieur, par les architectes Maurice Perreault et Albert Mesnard, de Montréal.
Cette église présente une structure très massive, tant par sa façade que par son clocher. Un clocher très pur, sans flèche, surmonté d'un dôme rectangulaire. Celui-ci abrite un carillon de trois cloches fondues par Mears & Stainbank, de Londres. Ces cloches donnent les notes fa, sol et la.
Le style de cette maison du culte construite en 1888 est d'inspiration néo-romane. Son grand portail est surmonté d'un linteau de pierre fait d'un seul tenant, avec l'inscription latine Hic Domus Dei et Porta Ceoli, rédigée en lettres de style gaélique pour faire référence aux origines irlandaises de la paroisse. La légende veut que les maçons ne purent faire tenir ce linteau en place tant qu'il ne fut pas bénit.
La grande arcade cintrée sous laquelle se regroupent les deux seules portes de l'église est aussi de style néo-roman. Le tout est surmonté d'une fenêtre plein cintre : c'est le seul élément ornemental de la façade avec son clocher et sa pierre à bosselage.
Si l'extérieur vous étonne, l'intérieur vous ravira. Le peintre-décorateur François-Xavier-Édouard Meloche a fait un magnifique travail de coloration. Il a réussi à la perfection l'imitation des pierres rares telles que le marbre le plus précieux, la malachite, le lapis-lazuli et d'autres pierres du même genre. C'est l'essentiel de son travail.
Dans le fond du choeur, on remarque une immense toile peinte et signée par Meloche. Cette Multiplication des pains, qui compte 50 personnages dont certains sont de grandeur nature, fait 25 pi (7,6 m) de largeur sur 18 pi (5,5 m) de hauteur.
Les voûtes des petites chapelles sont traitées dans le même style. Les monogrammes de la Sainte Vierge et de saint Joseph remplissent des médaillons spéciaux. Le chemin de la croix n'est pas de Meloche, mais il est très intéressant. Il a été fait par un certain D. Maillars, un artiste d'origine européenne qui a travaillé au Québec.
D'aspect un peu féerique par les couleurs de ses tableaux, cette église a conservé la plupart des éléments d'origine sauf ses bancs qui, malgré leur modernité, cadrent bien avec l'ensemble. Les autels ont été décorés en fonction du décor élaboré par Meloche. C'est d'ailleurs lui qui a exécuté les vitraux selon une technique originale : motifs au pochoir avec de l'acide. Ces vitraux sont simples mais de bon ton, car ils cadrent bien avec l'ensemble coloré.
L'orgue est un Casavant produit en 1942. Il comporte cinq jeux. Ce petit instrument est d'une facture intéressante. L'église de Saint-Philippe est précieuse pour le diocèse de Saint-Jérôme puisque c'est une de ses rares églises à ne pas avoir subi de modifications excessives à la suite des recommandations émanant du concile Vatican.
Fait remarquable, ce sont les citoyens de Saint-Philippe qui l'ont sauvée: à un certain moment, l'autorité religieuse a retiré le maître-autel et les autels latéraux, mais les paroissiens ont insisté pour qu'on remette en place les éléments d'origine.
Cet article fut édité dans le journal «LE MONDE» édition du 21 novembre 1891.
EGLISE DE SAINT-PHILIPPE D'ARGENTEUIL.
On ne saurait le nier, il n'y a rien de plus grandiose que les fêtes religieuses. Qu'on aille à Rome ou dans le plus humble village, c'est toujours la même impression que l'on éprouve et qui nous conduit insensiblement à vous prosterner aussi humblement devant le modeste prêtre de campagne que si on se trouvait en présence du Vicaire de Jésus-Christ sur la terre.
Et ces impressions, nous les avons éprouvées, une fois de plus, jeudi dernier, 12 courant (1891) jour choisi pour l'inauguration de l'église de St-Philippe d'Argenteuil.
La belle cérémonie à laquelle nous venons d'assister, a été présidée par Sa Grandeur monseigneur l'archevêque d'Ottawa. Un nombreux clergé réhaussait par sa présence l'éclat de la solennité et donnait un cachet tout particulier à la réunion qui se groupait autour du pasteur de la Province d'Ottawa. Parmi les nombreux assistants ecclésiastiques, nous avons remarqué: M.M . Campeau, chanoine de la cathédrale d'Ottawa, Nantel, supérieur du séminaire de Ste-Thérèse, Père L. Lauzon, supérieur des R.R.P.P. Oblats de Hull, P. Joly, directeur du collège Bourget de Rigaud, M.L.M. Lavallé, curé de St-Vincent de Paul de Montréal, M.M . Tassé, curé de Longueuil, F. Towner, curé de St-Eugène, J. Giguères, curé de Montebello, P. Bédard, curé de St-Thomas d'Alfred, A.L. Dugas, curé de St-André d'Argenteuil, O. Constantineau, curé de Dawson, A. Derome, curé de Lachute, E. Croteau, curé de Grenville, M. Bourassa, ancien curé de Montebello, F.X. Rabeau, de l'église St-Joseph de Montréal, M M.M. Marleau, Arneault, etc, etc,
Monseigneur Duhamel a prononcé un très beau sermon de foi et a célébré le saint sacrifice de la messe. Dans l'après-midi a eu lieu l'érection du chemin de la croix, la vénération des reliques et la bénédiction du Très Saint- Sacrement par Monseigneur. Il va sans dire, que l'affluence de la population était énorme et au milieu d'elle on rf- marquait un grand nombre d'étrangers et de protestants. Non seulement les localités voisines mais même d'Ottawa et de Montréal. Les catholiques s'étaient rendus à cette belle cérémonie par devoir, pour témoigner de leur foi et rendre hommage à leur archevêque, les protestants, par curiosité, attirés qu'ils sont toujours par les pompes du culte catholique et les magnificences de l'église.
Et le mot magnifique n'a rien d'exagéré, ainsi qu'on va le voir tout à l'heure. La renommée avait déjà répandu au loin les beautés des décoration intérieures de l'église de Saint-Philippe d'Argenteuil, et nos lecteurs nous sauront certainement gré d'en donner une description, aussi brève que possible, il est vrai, car pour en parler de manière à en décrire tous les détails, il faudrait un volume ou plusieurs journaux. Les ornements sont si nombreux, si variés et traités avec un si grand art qu'il nous est impossible de suivre l'artiste dans les détails de son oeuvre. Il faut voir ces décors pour bien saisir l'idée qui a présidé à la conception du plan et comprendre toute la portée du travail qui vient d'être fait. C'est une belle page, une très brillante page à ajouter aux annales artistiques du Canada.
Et d'abord, un mot de l'église. C'est un monument de style romain. Une seule nef englobe tout l'édifice jusqu'au choeur, où quatre colonnes au fût trapu divisent ce dernier et le sanctuaire, en deux grandes chapelles, pour ainsi dire.
Parlons maintenant de la décoration de l'église. La décoration de la nef est de la plus grande simplicité comme lignes, mais d'une richesse de détails et de coloris surprenante. C'est un rayon de soleil, disait un des prêtres présents. Les doubleaux qui divisent la voûte en cinq travées, sont couverts d'ornements très étudiés et entrelacés de textes se rapportant à la mission de l'église. Des consoles d'un caractère tout-à-fait original supportent les doubleaux et ajoutent, par leur décoration superbe à la beauté de l'ensemble.
Les travées de la voûte sont embellies par cinq grands panneaux de centre dont le champ est occupé par des emblêmes ayant pour sujet: La Foi, l'Espérance, la Charité, la Religion et la musique sacrée, en couleur sur fonds bleus, à rayonnements accentués par des filets d'or. Sur les murs, autour des chassis, encadre-ments en claveaux à damier avec joints or et argent. En dessous des consoles sont des panneaux à teintes riches, dans lesquels sont encastrés les cadres des stations du chemin de la croix.
Au dessus des consoles et contournant les têtes des châssis, décor par zônes, en relief et plat variétés des teintes et d'ornementation. Textes se rapportant aux apôtres, dont les bustes ornent les lunettes formées par les arcatures de la grande voûte d'une console à l'autre. Ces bustes d'apôtres, peints en couleur sur fond d'or et mosaïque encadrent, on ne peut mieux les parties longitudinale de l'église.
D'autre médaillons de même valeur sont disposés tout autour de la grande plate-bande qui sépare le sanctuaire de la nef. Ces derniers sont remplis par les bustes, les Evangélistes et leurs attributs. Si nous ne nous trouvions pas ici, en face du choeur nous aurions un vaste champ d'étude, car cette large plate-bande est remplie de motifs variés, distingués et d'une allure vraiment magistrale. C'est une fort habile transition de la nef au choeur. Mais les décorations du sanctuaire nous attirent, nous fascinent. Que pourrions-nous bien en dire ?
Une longue description ne saurait en faire comprendre l'effet. L'artiste a jeté là, tous les trésors de sa palette ! Que de lumière dans les teintes ! Que de délicatesse dans les tons ! Quel ensemble exquis ! Et les petites chapelles, enclavées dans le choeur, quels bijoux ! Ici pas un ornement qui se répète ! Et pourtant, l'ensemble est homogène, pas une applique, pas un panneau ayant la même forme et malgré cela, il y a harmonie, unité dans le travail. Ce qu'il a fallu d'imagination et de fécondité d'invention au peintre pour produire un tel résultat, ceux-là seuls qui ont vu les travaux exécutés peuvent s'en rendre compte. Esquissons cependant, à grands traits l'ensemble des travaux.
Trois doubleaux divisent le choeur. Dans les travées, les symboles du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Sur ces doubleaux outre un fouillis délicieux de motifs décoratifs le mot: SANCTUS. se répète. Autour des symboles, lesquels sont peints à l'intersection des bras d'une croix, un étincellement de rayons d'or allant se perdre dans les angles des travées et parmi les étoiles, or et argent, dont ces angles sont parsemés.
Les voûtes des petites chapelles sont traitées dans le même style les monogrammes de la Sainte Vierge et de Saint Joseph, remplissent des médaillons spéciaux. Les voûtes du choeur et des chapelles reposent sur des colonnes en marbre, le fût en brèche violette, surmonté d'un faisceau de colonnettes pierre souffre émaillée d'or; chapiteau à feuillage et rinceaux or et argent. L'ensemble de la colonne est éblouissant de richesse.
Les trois autels en marbre, or et argent. Le Saint-Barthélemy domine parmi les marbres. Le rouge et le vert antique forment les lignes vives et les panneaux. La malachite, les onyx et le lapis lazuli, les petits panneaux, les boiseries en acajou relient les autels, tout cela forme une ligne solide qui entoure le choeur et qui est fermé par la balustrade de communion qui elle aussi est en marbre Saint-Barthélemy, rouge et vert antique.
La chaire attenant à la balustrade traitée de même, excepté les panneaux supérieurs qui sont en onyx du Mexique. Nous avons gardé la fin de cet article, non pas pour la description, mais l'appréciation du grand tableau qui remplit tout le fond du choeur au-dessus de l'autel.
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